L’utilisation de prototypes dans le cadre d’une étude d’usage d’une innovation doit se faire avec méthode et précaution. Entretien avec Julien Soler, chef de projet UX chez Ixiade à propos du dispositif d’imagerie médicale ChondroSight*. La start-up grenobloise Cartimage développe des technologies pour le dépistage et le traitement des affections du cartilage. Début 2015, la jeune société fait appel à Ixiade pour designer et évaluer un prototype de sonde échographique destinée aux chirurgiens arthroscopistes pour des interventions sur les cartilages du genou. Comment bien tester une idée… et un premier exemplaire ? Entretien
Quelle a été votre première réaction face à ce prototype ?
JS : Lorsque Benoit Vettier (ndlr. Président de Cartimage) est venu nous présenter son projet ChondroSight, on a tout de suite perçu une belle opportunité d’accompagnement. On se situait au moment où notre intervention paraissait la plus pertinente. Le travail et la réflexion sur l’objet étaient bien avancés, mais il restait aussi des marges de manœuvre qui permettaient de proposer des améliorations substantielles. Et dans le même temps on a senti le risque de faire tester à des utilisateurs un prototype à fort potentiel mais pas totalement abouti au niveau de l’ergonomie, de l’esthétique ou de la miniaturisation. Il y a un risque de rejet qu’il ne faut pas sous-estimer car parfois, l’objet physique qu’on présente aux utilisateurs les empêche de se projeter dans ce qu’il pourrait devenir. Il fallait donc travailler sans précipitation et réfléchir ensemble à la meilleure façon de présenter l’outil à ses futurs utilisateurs. Notre réponse a été de proposer une étude en deux phases : 1/ une évaluation de concept 2/ une évaluation de l’objet / du prototype.
En quoi a consisté cet accompagnement ?
D’abord notre équipe Design a effectué une veille très précise sur les outils utilisés actuellement par les chirurgiens arthroscopistes : les formes, les matières, etc. Ce travail nous a permis en peu de temps de proposer à l’entreprise un prototype « idéal » non mécanisé, prenant avant tout en compte les contraintes et tendances liées à ce secteur ultra spécialisé.
En parallèle, nous avons rédigé ensemble une présentation pour communiquer sur l’innovation proposée par Cartimage. Nous avons aussi réfléchi à deux grilles d’analyse pour mener l’étude auprès des futurs utilisateurs. Une première grille permettant d’évaluer l’acceptabilité du concept grâce à la méthode Cautic® et une autre pour évaluer la prise en main de l’objet. C’est important de l’avoir pensé dans ce sens-là et non dans l’autre : on l’a constaté à plusieurs reprises dans de nombreux projets et les réactions des chirurgiens l’ont encore confirmé. En décembre 2015, après 4 semaines de travail conjoint en agence, nous avons organisé une étude de terrain dans un salon professionnel qui regroupait de nombreux chirurgiens spécialistes des opérations du cartilage. 17 chirurgiens français et étrangers ont participé aux tests. Au terme de ces deux journées et d’un travail d’analyse de 2 semaines, nous avons rendu deux rapports : un sur la réception du concept et un autre concernant la prise en main de l’objet.
Quel est l’intérêt de cette méthode ?
La bonne idée ne suffit pas. Ce n’est pas parce qu’un objet est perçu comme beau ou très ergonomique qu’il aura forcément du succès auprès du marché visé. Il faut avant tout que le concept trouve sa place dans un environnement sociologique complexe qui comporte des habitudes spécifiques, des codes et des contraintes. Ici, le fait de faire d’abord tester le concept sans montrer l’objet a permis aux chirurgiens de se projeter sans barrières. Je dirais même qu’ils sont « rentrés dans le jeu » en suggérant eux-mêmes des idées d’amélioration ou en s’imaginant utiliser l’objet dans telle ou telle situation. Dans un deuxième temps, la présentation du prototype a permis de recueillir des remarques intéressantes concernant la prise en main et l’ergonomie.
Comment les utilisateurs potentiels ont perçu cette innovation ?
Ils l’ont perçu de manière très positive dans l’ensemble car cet objet possède de vrais atouts même s’il induit un grand changement dans la pratique. Les chirurgiens ont beaucoup apprécié la manière dont cette sonde permet d’objectiver les analyses sur le cartilage, jusqu’à présent soumises à une grande part d’interprétation. Ils ont rapidement vu l’intérêt d’utiliser l’outil notamment dans le cas d’interventions avec peu de visibilité. Mais surtout ils l’ont perçu de manière active et constructive. C’est-à-dire qu’ils ont imaginé avec nous ce que pourrait être l’outil idéal en partant du concept puis du prototype. Et c’est vraiment cela que nous voulions obtenir. Au final le projet est en cours de développement à la suite des tests que nous avons mené et l’entreprise envisage une mise sur le marché. Cette expérience nous montre que dans le cadre d’une approche méthodologique pertinente centrée sur les usages, présenter un prototype est un véritable atout. Mais le présenter trop vite peut être un motif de rejet immédiat car l’objet a tendance à bloquer la projection mentale : à manipuler avec précaution donc.
* ChondroSight est une sonde motorisée optimisée pour réaliser une échographie du cartilage du genou. Elle permet des mesures précises et objectives, une meilleure visualisation et un diagnostic plus sûr.Julien Soler est chef de projet expérience utilisateur au sein du pôle Etudes d’Ixiade. Il est par ailleurs docteur en sociologie.