Il est parfois difficile de prédire avec certitude l’avenir d’une innovation. Toutefois, certains outils permettent d’envisager des futurs plausibles. C’est le cas de la méthode « Delphi », utilisée par les acteurs de la prospective depuis 1948 et toujours en constante évolution. Dialogue entre analystes autour de la méthode avec Florian Loeser et Julien Soler, chefs de projet expérience utilisateur chez Ixiade.
En quelques mots, comment définiriez-vous la méthode Delphi ?
« Il s’agit d’une méthode de prévision utilisée principalement dans le cas où l’on adresse des innovations complexes, techniques, et faisant intervenir l’expertise de différents secteurs d’activité. En deux mots, la méthode Delphi nous amène à anticiper le futur en mettant en interaction des scénarios d’évolution proposés par des experts de différents secteurs d’activité. »
« Autrement dit, il s’agit d’injecter de l’intelligence collective au service de l’intelligence individuelle. »
« En effet, lors d’une étude récente par exemple, nous avons mobilisé une vingtaine d’experts sur une période de deux semaines dont l’activité gravitait autour des Smart grids (réseaux électriques intelligents). Des data centers aux énergies renouvelables en passant par les infrastructures urbaines, nous avons croisé les expertises et points de vue des experts afin d’aboutir à un modèle plausible sur le futur des Smart grids. »
Qu’est-ce qui distingue Delphi des autres méthodes ?
« Principalement, la précision avec laquelle il est possible de proposer un scénario d’évolution qui soit adapté dans le cas d’innovations complexes. C’est en fait grâce à la dimension temporelle (plus longue que dans les méthodes classiques) et au caractère itératif (agilité de l’investigation) que la méthode permet une réduction de l’incertitude dans des contextes bien spécifiques. »
« Il est intéressant de voir que l’application de cette méthode permet de faire converger les experts sur un scénario du futur et de voir dans quelle mesure les zones d’incertitudes se dissipent au fur et à mesure du déroulement. Certes, la méthode Delphi a un caractère plus dynamique et fournit des résultats plus riches qu’une méthode plus systématique et individualisée, mais cela n’est pas sans conséquence sur la technicité requise pour sa mise en œuvre. »
Vous voulez dire que c’est une méthode difficile à mettre en œuvre ?
« Difficile ? Non. Mais elle est relativement coûteuse en termes de ressources et de compétences. Il s’agit en premier lieu d’identifier des experts qui soient éligibles à la problématique de l’étude mais surtout de les impliquer dans une démarche qui peut durer de quelques jours à quelques semaines. »
« Autant dire qu’ils doivent se sentir concernés par l’enjeu mais également être régulièrement stimulés par de nouvelles informations enrichissantes. »
« Oui et cela demande au responsable d’étude de maîtriser la technicité d’un sujet souvent complexe afin d’être à même de tisser les liens entre les informations expertes qu’il collecte. »
« Cette méthode vient en fait en complément d’autres méthodes de prospective. Malgré ses coûts en termes de ressources humaines, économiques et temporelles, la mise en œuvre de la méthode Delphi peut s’avérer décisive pour les entreprises. »
Et pour les entreprises, dans quels cas convient-il d’appliquer cette méthode ?
« Pour un porteur de projet d’innovation, nous privilégions la mise en œuvre de la méthode Delphi sous trois conditions. Premièrement, la problématique du client fait intervenir un haut niveau de technicité. Deuxièmement, l’innovation ou la thématique en jeu s’inscrit dans un environnement complexe et multi-acteurs. Troisièmement, l’innovation ou ses conséquences futures sont relativement incertaines ou non maîtrisées. »
« Lorsque l’une ou plusieurs de ces trois conditions est rencontrée par le commanditaire, les résultats liés à l’application de la méthode Delphi permettront non seulement de percevoir les tendances futures, d’évaluer la cohérence entre les scénarios d’évolution, mais également de fournir un cadre d’analyse multidimensionnel des enjeux adressés par une innovation donnée. »
« En résumé, l’expérience que nous avons de la méthode Delphi nous montre que c’est un outil de prospective puissant et particulièrement adapté aux sujets complexes. »